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Chronique

La fuite comme acte de résistance dans les Maritimes

18 mars 2022

L’esclavage au Canada est encore un sujet à défricher. Pour reprendre les mots de Webster : « le Québec a complètement effacé de sa mémoire l’époque de l’esclavage sur son territoire » (1). Ce constat peut également s’appliquer aux Maritimes. Au total, c’est entre 1500 et 2000 Noirs qui auraient vécu une vie de servitude dans les Maritimes (2), mais ce sujet a longtemps été marginalisé dans l’historiographie.

En s’enfuyant, les personnes esclavisées résistaient, car elles montraient non seulement leur mécontentement, mais aussi leur désir de liberté, et ce au prix de lourdes conséquences s’ils étaient capturés. Parfois, ils partaient à deux, à trois, à quatre et même à cinq. C’est notamment le cas d’Isaac, Ben, Flora, Nancy et Lidge, âgés respectivement d’environ 30 ans, 35 ans, 27 ans, 24 ans et 4 ans. Ces derniers prennent la fuite ensemble entre le 15 et le 21 juin 1786 et sont annoncés le 24 juin (3).

Les fuites d’esclaves sont le plus souvent préméditées. Les personnes esclavisées ne s’enfuyaient pas sur un coup de tête. La fuite était pensée, réfléchie. Elle était un moyen pour s’opposer à l’esclavage et à la conception infériorisante de l’humanité inhérente à ce système.

Entre 1760 et 1830, en dépouillant 10 journaux, j’ai été en mesure de repérer 96 annonces d’esclaves en fuite, regroupant 128 individus. Il est important de noter que ce ne sont pas toutes les fuites qui étaient annoncées dans le journal et que plusieurs journaux n’ont pu être dépouillés pendant la recherche. Toutefois, il reste que plus de 120 individus ont choisi délibérément la fuite face à la vie de servitude.

Les fugitifs sont nombreux à réfléchir à une stratégie pour réussir à s’extraire de l’esclavage. Sam, Beler et Tony Smith (dit Joe), optent pour le marronnage en groupe de trois à l’été 1787 (4). Il est inscrit dans l’annonce les concernant qu’ils partent dans un canoé en bouleaux et qu’ils emportent plusieurs choses avec eux. Le fait qu’ils fuient sur une embarcation marine illustre leur objectif de s’éloigner le plus possible de leur maître.

Belfast, dit Bill, a longtemps réfléchi à la manière qu’il pourrait fuir Halifax, où il était esclave. Lors de son évasion, le 18 mars 1794, le jeune homme de 27 ans a, selon l’annonce qui parle de sa fuite, des vêtements cachés en ville. Il est donc probable qu’il ait changé d’apparence dans les heures suivant son départ. Il est aussi indiqué que Bill a essayé de monter à bord d’un navire la nuit de son évasion pour se diriger vers Terre-Neuve (5). Le cas de Bill est intéressant, car il avait certainement un contact en ville afin de cacher des vêtements. Donc, certaines personnes pouvaient accepter d’aider un esclave marron, même si cela était interdit et illégal.

Le mouvement Black Lives Matter au Canada, qui a pris de l’ampleur ces dernières années, s’inscrit dans la longue histoire de résistance des personnes afro-descendantes. Au commencement de cette histoire se trouvent les fugitifs canadiens, des Maritimes et d’ailleurs au pays.

Gregory Savioz-Buck :

Gregory Savioz-Buck termine actuellement son baccalauréat en histoire au département d’histoire de l’Université de Sherbrooke. À l’automne 2002, il entamera ses études de deuxième cycle sous la direction du professeur Jean-Pierre LeGlaunec. Son projet porte sur les esclaves marrons (en fuite) en Guadeloupe.

Références du texte :

Figure 1 : Annonce de fuite du 25 juillet 1786, The Royal Gazette.

(1) Webster, « Quebec History X »,18 mars 2021, Université de Sherbrooke, Sherbrooke.

(2) Harvey Amani Whitfield, North to Bondage : Loyalist Slavery in the Maritimes, Vancouver, UBC Press, 2016, p. 120.

(3) Harvey Amani Whitfield, Black Slavery in the Maritimes : a History in Documents, Peterborough, Broadview Press, 2018, p. 47.

(4) Whitfield, Black Slavery in the Maritimes : a History in Documents, op. cit., p. 51.

(5) Whitefield, Black Slavery in the Maritimes : a History in Documents, op. cit., p. 62-63.

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