Chronique
L’alcool et son rapport à la masculinité
2 août 2022
La consommation d’alcool a longtemps été une affaire d’hommes. En effet, au cours des siècles antérieurs, les femmes ne sont pas les bienvenues dans les lieux où l’alcool se consomme et il est mal vu pour celles-ci de prendre un verre, ce pour quoi elles se cachent dans leurs foyers pour le faire (1). À l’inverse, comme le démontrent les photos ci-dessous, les spiritueux font partie intégrante du quotidien de la gent masculine. Ils accompagnent les sorties familiales et ont même leur place dans les portraits !
Qu’il s’agisse de bière, de vin ou de boissons fortes, la consommation d’alcool par les hommes est depuis longtemps largement acceptée par la société, et même souvent encouragée, exception faite des années de tempérance. L’alcool étant perçu comme un symbole de virilité pour le sexe masculin, les hommes sont « enjoints à boire pour montrer qu’ils sont des “vrais hommes” » (2). Ceci ne fait toutefois pas bon ménage avec les images de pureté et de délicatesse attribuées aux femmes, celles-ci étant considérées comme les gardiennes des bonnes mœurs. Ainsi, leur droiture ne peut aucunement être compromise par une boisson porteuse de débauche, n’est-ce pas ? De plus, puisque les boissons alcoolisées sont synonymes de force et de masculinité, la gent féminine est considérée comme trop fragile pour en consommer (3).
Il est à noter que c’est dès l’Antiquité que l’on retrouve des traces de traitement différent en fonction des genres, lorsqu’il est question de consommation d’alcool (4). Toutefois, durant les 17e et 18e siècles, l’on commence à circonscrire d’avantage le boire féminin sous le couvert de la moralité, les femmes étant considérées comme plus vulnérables à ses effets et risquant ainsi de compromettre leur honneur en consommant (5). Plus particulièrement, apparaît au 19e siècle l’« idéal de la femme vertueuse, gardienne du foyer et garante de la morale. » (6) Ce phénomène, notamment lié aux abus de leurs homologues masculins, entraîne une distanciation forcée des femmes des lieux dans lesquels on consomme de la boisson (7), en plus de se voir exclues des endroits publics de manière générale.
À partir de la deuxième moitié du 20e siècle, l’on peut cependant observer des changements de ce côté. La consommation d’alcool par la gent féminine commence tranquillement à être perçue comme « un signe d’émancipation » (8) par une certaine minorité plus marginale. Cependant, la mentalité traditionnelle perdure et l’on continue d’attribuer aux femmes les idéaux du siècle passé.
En ce qui concerne les publicités de boissons alcoolisées, celles-ci s’adressent longtemps uniquement aux consommateurs masculins. Ainsi, c’est d’abord en les représentant aux côtés de ceux-ci que les femmes commencent à y apparaître. Dès la deuxième moitié du 20e siècle, l’on peut donc parfois retrouver une femme faisant du sport en compagnie d’une figure masculine, mais les hommes virils et travaillants demeurent surreprésentés. L’on commence également à remarquer que la présence des femmes dans les campagnes publicitaires développe un but bien précis, soit d’encourager la gent masculine à consommer davantage en exposant les atouts de celles-ci. Quelques compagnies se sont même attirées les foudres de certains membres de la population, plus particulièrement des femmes, qui vont jusqu’à partager leur indignation à travers la publication de lettres d’opinion dans les journaux !
(1) Dulong, D., Guionnet, C. et Neveu, E. (dir.). (2012). Boys don’t cry ! : les coûts de la domination masculine (coll. Le sens social). Presses universitaires de Rennes, p. 257.
(2) Ibid., p. 38.
(3) Ibid., p. 256.
(4) Ibid.
(5) Ferland, C. (2020). Femmes, cabarets et alcools au Canada, XVIIe et XVIIIe siècles. Cap-aux-Diamants, (141), p. 5.
(6) Dulong, D., Guionnet, C. et Neveu, E. (dir.). (2012). Boys don’t cry ! : les coûts de la domination masculine (coll. Le sens social). Presses universitaires de Rennes, p. 257.
(7) Ibid.
(8) Ibid., p. 259.